Le désert et l’avion par Alain Chevillat
Plusieurs personnes ont attiré notre attention sur le fait que nos
stages dans le désert nécessitaient l’usage de l’avion – et qu’ainsi
nous étions des acteurs du réchauffement climatique un peu inconscients.
Alain répond à cela dans ce petit texte.
« Le monde ne changera pas si l’homme ne change pas », nous a souvent rappellé
Pierre Rabhi. Cette transformation de l’être humain est la
vocation de l’Université A Ciel Ouvert.
Depuis plus de vingt ans l’expérience nous a montré l’extraordinaire
pouvoir de transformation du désert lorsqu’on le vit en « immersion ».
J’ai vu tant de gens changer, voire muter, après simplement une semaine
de vie dans le désert.
L’immensité, la nudité, la nécessaire sobriété, le silence, l’isolement,
toutes ces caractéristiques du désert ont des effets puissants sur des
personnes qui vivent souvent dans le confort, l’abondance et la
distraction, parfois dans la superficialité et « l’égarement ». Et elles se
transforment.
Nous compensons le CO2 que nous diffusons par nos déplacements aériens,
mais pas en plantant des arbres, en étant végétariens. Depuis
quarante-cinq ans, tous nos stages sont strictement végétariens, sans
viande ni poisson. Or, on sait l’importance de l’élevage dans le
réchauffement climatique. Nous avons, il y a des années, publié un
article du grand sage vietnamien Thich Nhat Hanh dans lequel il
démontrait que si, par un coup de baguette magique, l’humanité devenait
végétarienne, il n’y aurait plus de réchauffement climatique. Sur ce
point, pour cette raison et pour d’autres, nous faisons notre part de
colibri.
L’une des raisons qui nous a fait choisir la Mauritanie est le soutien
économique apporté à une région déshéritée. Il ne s’agit pas d’un
développement économique de style capitaliste, mais d’une aide à la
survivance de petits métiers qui font revivre toute une région :
auberges, commerces, coopératives artisanales, chameliers, agriculteurs,
chauffeurs, guides… Quand il y a eu un acte terroriste, il y a quelques
années, et que le tourisme a cessé, c’est toute une population qui a
perdu ses moyens de subsistance, et qui est allée grossir les
bidonvilles de Nouakchott.
Plutôt que d’accueillir « les migrants », qui quittent leur pays pour
survivre, je pense bien préférable de les aider à vivre dignement chez
eux. C’est ce que nous soutenons à Chinguetti, faisant là aussi notre
part.
J’ai découvert l’islam et le monde musulman il y a bien longtemps, en
Afghanistan. Et j’ai trouvé cette tradition merveilleuse. Des gens doux,
respectueux, généreux, hospitaliers. Cela n’avait rien à voir avec le
musulman au couteau entre les dents et la ceinture de bombes, tel qu’on
se le représente souvent. J’ai retrouvé cette même qualité de l’islam
dans plusieurs pays, et notamment en Mauritanie. Les gens y sont très
religieux et très ouverts, deux grandes qualités.
Je suis heureux de contribuer à faire connaître cela à ceux qui
pourraient ne connaître l’islam que par les journaux et la télévision.
Là aussi nous faisons notre part de colibri.
Tout cela justifie pleinement, à nos yeux, nos déplacements aériens vers
le désert de Mauritanie, malgré la pollution de l’air par nos vols vers
le pays, qui peuvent être considérés comme des dégâts collatéraux,
regrettables mais inévitables. N’y a-t-il pas dans notre vie de nombreux
comportements dommageables mais inévitables ? Comme l’usage de
l’électricité (au bout du fil est la centrale), de l’automobile, des
plastiques omniprésents qui polluent terres et mers ? Il faut essayer de
toujours faire notre part, avec discernement, sans sacrifier
l’essentiel pour l’accessoire. Et pour nous « l’éveil à l’être », que
permet souvent le désert, fait partie de notre essentiel.